Motion 3: Reconnaître et agir sur l'urgence médicale et humanitaire liée à la dégradation de l'environnement, en particulier le changement climatique

Motion : Dans un contexte de crises amplifiées et accélérées, et de changement dans la configuration des catastrophes liées à la dégradation de l’environnement - en particulier le changement climatique -, et étant donné leurs effets importants sur la santé des populations vulnérables, l’Assemblée générale appelle l’OCB à passer à la vitesse supérieure en reconnaissant l’urgence médicale et humanitaire que ce contexte constitue et à agir en conséquence.

Cela devrait se traduire au niveau de l’OCB par :

  • une intensification de son analyse et de sa réponse et ce, de manière coordonnée;
  • une adaptation de ses approches médicales, opérationnelles et logistiques;
  • une affectation des ressources et des compétences nécessaires, et un renforcement des synergies interdisciplinaires;
  • un engagement plus fort du plaidoyer et du positionnement, interne et externe, et l’établissement des partenariats, compte tenu de la puissance de notre voix et de l'impact qu'elle génère.

Au niveau du mouvement, nous demandons à l'organisation de revoir sa stratégie globale face à la crise climatique et aux crises humanitaires qui s'ensuivent, et qu'une politique institutionnelle liée à la dégradation de l'environnement et à la santé soit adoptée sans tarder afin d’informer et guider au mieux les stratégies de réponse opérationnelle de MSF, les plans de réduction de son empreinte, ainsi que son positionnement interne et externe.

 


Informations de base : L’impact de la dégradation environnementale –en ce inclus le changement climatique (CC)- sur la santé, les déplacements et les conflits n'est plus discutable. Ils touchent de manière disproportionnée les plus vulnérables, ceux que MSF cherche à aider, et cette tendance est loin de faiblir.

Voici quelques exemples [1]:

  • La capacité vectorielle de transmission de la dengue fut en 2016 la plus élevée jamais enregistrée, tandis que la capacité de transmission du paludisme a augmenté de 28% dans les hauts plateaux subsahariens depuis les années 1950.
  • Le CC entraîne des augmentations dans les proportions de zones côtières propices aux épidémies de choléra (24% d’augmentation dans les zones côtières de la région Baltique par exemple), et il accroît l'habitat propice au vecteur de la fièvre de Lassa (le rongeur M. natalensis).
  • Les habitants de plus de 90% des villes respirent de l'air pollué, ce qui nuit à leur santé cardiovasculaire et respiratoire. Selon l’OMS, la pollution de l’air est la principale cause environnementale de maladies et de décès prématurés dans le monde. La pollution de l'air intérieur et extérieur est responsable de plus de 7 millions de décès prématurés par an.
  • En 2017, ce sont 157 millions de personnes de plus qui ont été exposées aux vagues de chaleur par rapport à l’an 2000. Le Département météorologique du Pakistan a déjà signalé une augmentation annuelle de la durée des vagues de chaleur dans le pays. Karachi, où nous avons un projet, fait partie de la province de Sindh. Les rapports d'évaluation des besoins liés à la sécheresse montrent que, suite au changement climatique, les vagues de chaleur continueront d'augmenter dans la province.
  • Une sécheresse sévère en 2018 a touché des centaines de milliers de personnes, de l'Asie centrale à l'Amérique centrale, du Sahel à la Corée du Nord.
  • Les typhons et les cyclones sont plus fréquents et de plus forte intensité (2 cyclones ont frappé le Mozambique en moins de 6 semaines, comme vous le savez).
  • En fait, en 2017, le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays par des risques environnementaux (catastrophes) était supérieur (18,8 millions) à celui des personnes déplacées par des conflits (11,8 millions).
  • Outre l'impact sur l'accès aux soins de santé, l'accès à l'eau, à la nourriture et au logement, les phénomènes météorologiques extrêmes entraînent également des troubles de stress post-traumatique, des troubles dépressifs majeurs et de l'anxiété.
  • Mais il y a aussi les impacts moins évidents :
    • Le risque mondial de morsures de serpents venimeux, qui touche déjà 2,5 millions de personnes chaque année, est également à la hausse.
    • On fait face à la résurgence de maladies. Des spores d’Anthrax ont été libérées l'été dernier dans la toundra sibérienne à la suite de températures inhabituelles pouvant atteindre les 35°C.
  • Sans parler de l'élévation du niveau de la mer, obligeant les gens à se déplacer, souvent vers les zones urbaines…

Ceci est juste un aperçu de ce à quoi nous sommes confrontés et, comme nous le savons, il est peu probable que la situation s’améliore à moins d’un shift mondial rapide et massif.

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur les changements climatiques (GIEC) des Nations Unies a averti que le monde a jusqu'en 2030, à peine plus d'une décennie, pour effectuer les changements radicaux mais nécessaires si l’on veut que le réchauffement reste limité à 1,5 ° C (conformément à l'Accord de Paris de 2015), faute de quoi une chaîne irréversible de réactions échappant au contrôle humain sera enclenchée[2]. Cela signifie que les émissions doivent être réduites de 45% avant 2030, ce qui ne correspond pas à la réalité. Avec les politiques actuelles du gouvernement, nous sommes en route vers plus de 3°C de réchauffement.

Au niveau global, le sud est déjà le plus touché. Les zones vulnérables au CC (les « hotspots ») comprennent l'Asie du Sud-Est et le Pacifique, le Moyen-Orient, le Sahel, l'Afrique centrale et l'Amérique centrale. MSF est déjà présent dans la plupart de ces endroits. Mais les questions sont les suivantes : sommes-nous prêts, comment nous préparer, comment adapter et ajouter des politiques et des approches, faire des choix, ajouter la question de la dégradation environnementale (y compris la réflexion sur les changements climatiques) à l’analyse contextuelle ? Avons-nous le financement et les compétences supplémentaires, comment collaborer, positionner le plaidoyer local et international et faire notre travail dans un monde aux ressources limitées, tout en veillant à ne pas nuire grâce à une limitation de notre propre empreinte ?

Certaines organisations humanitaires ont commencé à adapter leurs interventions et à modifier leur état d'esprit, reconnaissant le lien qui existe entre le climat, l'environnement et la santé. La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), par exemple, le plus grand réseau humanitaire, dispose d’un centre de lutte contre le CC, d’un plan d’action, de normes minimales, de conseillers techniques sur le terrain ainsi que des évaluations de l’impact sur l’environnement après une catastrophe. Beaucoup d'autres emboîtent le pas.

Au sein de MSF, une motion a été adoptée par l’AGI lors de l’été 2017. Elle demandait au mouvement de « débattre et promouvoir des actions visant à développer des capacités et une expertise concrètes concernant les conséquences médicales et humanitaires de la dégradation de l’environnement sur la santé et de l'impact de MSF sur l'environnement. "

Certaines initiatives ont eu lieu ces dernières années. MSF-Canada a établi une cartographie des « actions environnementales » des différentes sections. Elle a également rédigé un document interne offrant certaines pistes possibles pour MSF. Un groupe de travail informel « MSF, climat et santé » (environ 140 membres aujourd'hui - internes et externes) a été créé, l'unité OCB WatSan a adopté une approche plus globale de santé environnementale, le département logistique a élaboré une vision énergétique, plusieurs projets TIC ont été lancés au sein de MSF, les sièges et bureaux deviennent plus écologiques, et un atelier intersectionnel sur l’action humanitaire dans un monde qui se réchauffe a eu lieu à Genève en octobre dernier. En 2018, l’Équipe verte MSFB / MSF-B a également soumis une motion appelant MSF à «se montrer écologiquement responsable dans ses pratiques et ses choix ». Elle fut adoptée, mais concernait principalement le bureau/bâtiment de Bruxelles.

Bien que ces initiatives soient les bienvenues, le fait est qu'elles ne correspondent pas à l'urgence à laquelle nous sommes confrontés. En outre, la plupart d'entre elles ont été développées en silo.

Il n’existe aucun lien organisationnel global, aucun leadership clair, aucune plate-forme formelle d’échanges ou de synergies, aucun engagement de ressources pour s’atteler sérieusement à la question. Il n’y a par ailleurs aucune politique environnementale au niveau du mouvement qui permettrait de hiérarchiser cette question et de guider nos activités opérationnelles, médicales et logistiques, et qui clarifierait le positionnement de MSF en interne et en externe sur cette question. Cela doit changer. Urgemment. Ne pas agir serait faillir à notre responsabilité éthique et médicale - principalement envers les bénéficiaires, mais également envers nos donateurs.

MSF doit planifier, évaluer et réagir pour faire face au contexte changeant auquel nous sommes confrontés. Et cela va au-delà de certains projets pilotes ou du passage des gobelets en plastique aux tasses en céramique !

Cela signifie passer à un niveau supérieur, adapter notre réponse aux urgences, ajuster nos choix en matière d’énergie, de politiques et services d’approvisionnement, en matière de voyages, de gestion de nos déchets dangereux, etc. Guidé par les principes du « do-no-harm », le secteur de la santé se doit de donner l'exemple et de faire des choix qui limitent tout impact direct négatif sur la santé humaine, l'environnement et le climat.

Il est également important pour MSF d'aller au-delà de la réponse humanitaire et d'utiliser son positionnement public pour contribuer à la prise de conscience et au changement, d'autant plus que les besoins vont dépasser de loin les capacités de réponse actuelles des organisations d’aide.

En tant qu'organisation de terrain, nous sommes les témoins directs des problèmes auxquels les populations sont confrontées. Grâce à notre action, nous disposons ou pourrions produire des données susceptibles de contribuer à la recherche et au plaidoyer. En tant qu’acteur clé de la santé mondiale (peut-être pas dans notre esprit mais dans l’esprit de beaucoup), on attend de nous que le pouvoir de notre voix soit utilisé pour aider à sensibiliser à la crise médicale, humanitaire et environnementale en cours, de manière à atténuer son impact, mais aussi éventuellement contribuer à endiguer son escalade effrénée. Allons-nous laisser les écoliers descendre dans la rue face à cette crise sans mettre à contribution notre voix puissante ?

MSF est souvent mal à l'aise face à de tels problèmes systémiques. La crise du VIH / sida nous a mis mal à l’aise au début. Pourtant, étant donné l’ampleur de l’urgence sanitaire et les dommages qu’elle causait, nous avons renforcé notre capacité de réaction, d’engagement et d’innovation. Nous avons uni nos forces avec d’autres, utilisé notre capacité de plaidoyer, et avons contribué de manière significative à s’attaquer à cette crise par des moyens novateurs. Dans la même veine, nous nous sommes attaqués à certaines failles et lacunes du système qui mettent la vie de personnes en danger faute d’avoir accès à des médicaments essentiels, et nous continuons à le faire.

Aujourd’hui, la réalité est la suivante : le CC et la dégradation de l’environnement exacerbent déjà les impacts sur la santé ainsi que les risques pour les personnes vulnérables de devenir plus vulnérables encore.

C’est pourquoi des motions et recommandations issus de l’Association de l’Afrique de l’Est en passant par Paris, le Royaume-Uni, Genève ou Toronto sont présentées à différentes Assemblées générales cette année, demandant à MSF de réagir face à l’ampleur de la crise climatique et d’adapter sa réponse. C’est également la raison pour laquelle des membres OCB issus de diverses régions et secteurs, depuis l’approvisionnement, la logistique, la santé, les finances, la communication, le plaidoyer, les urgences, le terrain et les bureaux, sont réunis aujourd’hui devant vous pour présenter cette motion.

Nous demandons à l’OCB de revoir de manière stratégique ses opérations, ses activités de plaidoyer et son empreinte, afin d’y intégrer les effets sanitaires et humanitaires de la crise climatique actuelle et future. Nous demandons par ailleurs l’adoption d’une politique globale par le mouvement.

Une motion similaire vient d'être adoptée par MSF-OCG (Résultat du vote : pour : 215 - contre: 21 - abstention: 25). Nous espérons que vous ferez de même et que vous appuierez massivement cette motion.

Sylviane Bachy, Joke Massa, Mit Philips, Angela Uyen, Yves Wailly, Maria Ten Palomares, Peter Maes, Ali Ouattara, Andrew Mews, René Ghislain Colgo, Renata Reis, Catherine Bachy, Eric Goemare, Antoine Tercieux, Peter Casaer, Laura Trivino Duran, Stephanie Marheux, Quentin Pullinckx, Ken Xue, Natasha Reyes, Celine Miroir, Belkacem Ait Yahia, Tom Corbet, Joel Ghazi, Daniela Munyoz, Elvina Motard, Helen Ander, Francois Giddey, Asadullah Khan, Toufic Kronfol, Jean-François Vraux, Genevieve Georges, Damien Scarlett, Michel Vasic, Eric Morel, Eva Kongs, Jonathan Delchambre, Robin Vincent Smith, Rudi Jano, Carlos Cortez, Celine Van Lamsweerde, Melik Khiari, Todwell Gobvu, Esther Casas, Christophe Castaigne, Armand Sprecher, Dimitri Eynikel, Rodd Gerstenhaber et Catherine Doutrewe

 


[1] Liste des sources :
-Watts N. et al. (2018) The 2018 report of the Lancet Countdown on health and climate change: shaping the health of nations for centuries to come. The Lancet, Vol. 392, Issue 10063,P2479-2514. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)32594-7

-David W. Redding et al. (2016) Environmental‐mechanistic modelling of the impact of global change on human zoonotic disease emergence: a case study of Lassa fever. https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/2041-210X.12549

-Sindh drought needs assessment report, 2019 https://reliefweb.int/report/pakistan/sindh-drought-needs-assessment-sdna-report-january-2019;

-Climate Risks and Food Security Analysis: A Special Report for Pakistan, 2019

-IDMC, Global report on Internal Displacement, 2018 : http://www.internal-displacement.org/global-report/grid2018/

-WHO. 2016. “Ambient (Outdoor) Air Quality and Health.” Fact Sheet. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs313/en/

-Landrigan, Philip J, BE Richard Fuller, Nereus J R Acosta, Olusoji Adeyi, Robert Arnold, Prof Niladri (Nil) Basu, Abdoulaye Bibi Baldé, et al. 2017. “The Lancet Commission on Pollution an Health.” The Lancet 391 (10119): 462–512. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(17)32345-0

 

[2] https://www.ipcc.ch/sr15/